Discours de Jean-Christophe Bourgeois, Président de de l’Association Tous Pour La Musique – vendredi 15 février 2025.
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président des Victoires, Cher Vincent,
Monsieur le président de l’Arcom,
Monsieur le Président du Centre National de la Musique,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
C’est avec plaisir que je prends la parole ce soir, au nom de Tous Pour la Musique, en ouverture de cette 40e édition des Victoires. Une édition qui, une fois encore, mettra en lumière l’extraordinaire vitalité de la scène musicale française et le travail remarquable de celles et ceux qui l’animent, sur le devant de la scène comme dans l’ombre.
Tous Pour la Musique incarne l’union de toute une filière : trente organisations, allant des organismes de gestion collective aux syndicats et organisations professionnelles. Cette unité est notre force. Au-delà des débats qui peuvent nous traverser, nous partageons une même ambition : défendre ensemble l’essentiel.
Notre secteur fait en effet face à des défis majeurs : remise en cause du modèle européen de régulation du numérique, menaces sur la liberté d’expression, fragilisation des financements publics. Il est urgent de rappeler que la musique est non seulement la pratique culturelle préférée des Français, mais aussi un puissant vecteur de lien social et un moteur économique jusque dans les territoires les plus reculés.
Nous nous présentons devant vous conscients de cette responsabilité et convaincus de la nécessité d’une action concertée au service de la musique et de celles et ceux qui la font vivre.
Depuis plusieurs mois, un sujet est omniprésent dans nos débats : l’intelligence artificielle. Le sommet organisé par la France cette semaine a marqué une étape importante en la matière, et nous savons combien vous vous êtes battue, Madame la Ministre, pour que la culture et la protection des ayants droit occupent pour la première fois une place centrale dans un tel événement.
Si l’intelligence artificielle offre des opportunités inédites en matière de création, elle ne doit en aucun cas saper la valeur des œuvres et fragiliser la rémunération de leurs auteurs et interprètes. Le modèle économique de la musique repose sur un équilibre fragile qui ne saurait être mis en péril par une révolution technologique sans garde-fous. Nous avons besoin d’un encadrement des usages et d’un respect absolu des droits de propriété intellectuelle.
Les travaux européens ne se sont pas arrêtés avec l’adoption du règlement sur l’intelligence artificielle, qui n’entrera en vigueur qu’en août prochain. Depuis, la Commission européenne travaille sur deux axes : l’obligation de transparence avec le « résumé détaillé », et une politique de respect du droit d’auteur pour les modèles d’IA via un code de bonnes pratiques. Ces outils doivent nous permettre d’exercer nos droits et de conclure des licences, mais l’inquiétude demeure face à des modèles d’IA réticents au dialogue.
La France a un rôle clé à jouer en se montrant ferme avec la tech et protectrice de nos secteurs, afin d’imposer une solution équitable et efficace face à l’opacité organisée de ces acteurs et aux difficultés de preuve qui entravent nos droits. Notre pays est d’ailleurs aux avant-postes, grâce au rapport de la Professeure Alexandra Bensamoun sur le template pour mettre en œuvre l’obligation de transparence. L’Europe est ici confrontée à une véritable épreuve de vérité face au libertarisme qui domine outre-Atlantique.
Plus près de nous, les mutations de notre audiovisuel public nous préoccupent également. Si nous nous félicitons qu’un mode de financement pérenne ait été défini, la baisse du niveau de financement menace la présence de la musique à la télévision et à la radio. Moins de moyens, c’est moins d’exposition de talents, moins de diversité, moins de découvertes d’artistes émergents.
La réforme de l’audiovisuel public ne peut pas se résumer à une logique de restrictions budgétaires. Nous devons garantir que l’audiovisuel public demeure un acteur majeur de la diffusion musicale, au service de la diversité, de l’accès à la culture pour tous et de la création humaine.
Le Centre National de la Musique traverse une période de transition qui ne peut être synonyme d’incertitude. Nous formons nos meilleurs vœux de réussite à Jean-Baptiste Gourdin, dont nous connaissons l’engagement et l’expertise. Notre établissement public doit évidemment être pérennisé et ses financements sécurisés.
Alors que la filière musicale a besoin de soutiens forts et engagés, s’égrènent depuis plusieurs semaines les annonces des coupes parfois massives de certaines collectivités locales dans les budgets alloués à la culture. Si nous sommes parfaitement conscients du contexte budgétaire dans lequel avance le pays, l’ampleur de ces coupes n’est pas acceptable, de même que n’est pas acceptable la rhétorique ouvertement hostile à la culture qui accompagne parfois leurs annonces.
Vous avez eu raison d’évoquer, en entamant vos vœux, Madame la Ministre, « un funeste débat ». Malheureusement, le ministère de la Culture n’a pas échappé à l’effort général demandé dans le cadre de la loi de finances pour 2025. Nous nous félicitons néanmoins que les trois crédits d’impôt dont bénéficie la filière musicale n’aient pas été affectés. Mais des efforts de pédagogie sur ces outils structurants restent nécessaires, notamment en direction de la Cour des comptes.
Quant au Pass Culture, il doit évoluer pour mieux refléter les réalités de notre industrie, dans une approche globale, équilibrée et concertée, au service de toute la filière musicale. Ses adaptations, de même que les arbitrages budgétaires, ne peuvent ni ne doivent se faire au détriment des acteurs du spectacle vivant. Dans le même temps, les offres de streaming musical doivent être intégrées, afin de corriger l’inégalité fiscale qui pèse sur la musique enregistrée et de favoriser la découverte d’artistes et de répertoires.
Un mot sur les orchestres et les opéras, qui vous ont alertée, Madame la Ministre, sur leurs difficultés qui les conduisent à diminuer le nombre de leurs productions et de leurs représentations partout dans le pays. La crise de leur financement, exacerbée par le désengagement de nombreuses collectivités locales, inquiète. L’excellence française en la matière est mondialement reconnue et doit rester accessible à tous les publics plutôt qu’à une élite.
Dans ce contexte budgétaire contraint, alors même que les aides à la création apportées par les organismes de gestion collective de droits voisins se sont dégradées à la suite de l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire RAAP, le dispositif de la copie privée demeure un pilier essentiel de la rémunération des créateurs. Son maintien et son adaptation aux nouveaux usages numériques sont donc plus que jamais indispensables.
L’accès à la musique dans les territoires ruraux reste un défi. Nous saluons votre engagement pour renforcer l’accessibilité des conservatoires. Mais nous devons aller plus loin : il est temps de généraliser la pratique musicale à l’école, d’encourager la création d’orchestres dans les collèges et de développer des passerelles avec les structures d’enseignement spécialisé. La musique ne doit pas être un privilège urbain.
Vous le savez, nous nous tenons également à votre disposition pour avancer sur le projet de « France Music Week », en espérant que les pouvoirs publics prendront toute leur part à la concrétisation de cette idée présidentielle. Replacer la France sur la carte de la musique mondiale en accueillant les principaux représentants dans des lieux patrimoniaux d’exception, valoriser la création artistique française et la richesse de ses talents et les faire rayonner davantage sur le plan international, promouvoir le savoir-faire français de l’ensemble de la filière auprès d’acteurs internationaux, nous adhérons aux objectifs de l’évènement tels que définis par votre ministère.
La liberté d’expression, pilier fondamental de la création musicale, est aujourd’hui menacée. Pressions sur certains concerts, censures implicites ou explicites, volontés de restreindre certains répertoires : ces tendances inquiètent. La musique a toujours été un espace de liberté et de dialogue, et nous devons résister à toute forme de limitation injustifiée. Il est essentiel de défendre ce droit fondamental et de s’opposer à toute forme d’instrumentalisation qui chercherait à restreindre la diversité artistique.
L’égalité femmes-hommes reste un objectif central. Si des avancées ont été réalisées, nous devons poursuivre nos efforts pour atteindre une réelle parité dans toutes les sphères de notre industrie. De même, la transition écologique est une priorité : nous devons adapter nos modèles, encourager des pratiques plus durables, et inscrire la filière musicale dans une démarche de responsabilité environnementale.
Madame la Ministre, nous savons votre volonté de relever ces défis, avec la détermination que nous vous connaissons. Nous comptons sur vous pour défendre la musique, protéger celles et ceux qui la font vivre et garantir un cadre équitable et durable, et nous sommes prêts à travailler à vos côtés.
Car la musique n’est pas seulement un secteur économique. Elle est un bien commun, un ciment social, une force d’union. Elle mérite notre engagement total.
Je vous remercie de votre présence et de votre attention, et laisse désormais la place à la musique. Belles 40es Victoires à toutes et tous !